Pas de photos de la tempête, mais quelques unes à partager du calme avant la tempête. Destination Rochefort donc.
La Charente est maritime jusqu'à Tonnay-Charente, à quelques encablures en amont de Rochefort. Elle est en fait fluvio-maritime entre son embouchure et Tonnay. On peut donc y croiser des péniches et des cargos. La vitesse y est limitée à 12 noeuds surface. C’est un fleuve à marée, la marée ayant environ 30 minutes de retard sur la celle de la Rochelle. Le port de Rochefort est situé sur la rive droite du fleuve. Il comporte deux bassins à flots, protégés par une porte qui n’ouvre qu'environ 1 heure une demie-heure avant la marée haute. Il y a donc deux entrées/sorties par jour (je dis ça pour les sudistes). Le personnel de la capitainerie gère avec une certaine efficacité le ballet des entrées et des sorties. Les horaires précis sont disponibles auprès de la capitainerie.
Nous partons à 17 heures zéro zéro de la Rochelle. J’insiste sur le zéro zéro, car je donne toujours des heures de départ que je ne respecte jamais. Mais là, à zéro zéro, les amarres sont larguées, et le petit vent de trois quarts qui pousse sur le catway ne nous empêche même pas de sortir droit. Le port de Rochefort ouvrant à 20 heures 10, nous avons un peu de marge. Il faut en effet une quarantaine de minutes pour rejoindre Fouras qui marque l’entrée de l’estuaire. Il y a ensuite une douzaine de nautiques pour rejoindre Rochefort soit une heure à 12 noeuds, 2 heures à 6 noeuds. Nous ne sommes pas en retard. J’aurais pu, dans un esprit de tradition, ne pas respecter l’horaire.
La sortie des Minimes quant à elle est bien dans l’esprit de la tradition. C’est le 15 août, il y a du monde qui se croise dans le chenal. Leur sillage s’entremêle et se mêle à la houle qui vient mourir avec force sur des fonds qui remontent. Dans cette cacophonie, nous dépassons le phare du Bout du monde, et prenons le cap vers la masse sombre de fort Boyard, vaisseau immobile à l’horizon. La houle de travers nous secoue un peu et finit par avoir raison de la porte du frigo qui, mal fermée, s’ouvre. A 20 noeuds, la traversée est finalement assez confortable, y compris pour le mousse.

On contourne l’île d’Aix par l’ouest; à droite fort Boyard encerclé par les promène-touristes; derrière, l’île d’Oléron et la pointe des Saumonards; à gauche l’île d’Aix et ses deux tours blanche et rouge qui ressortent dans la lumière chaude de cette fin d’après-midi, et derrière apparaissent Fouras et l’île Madame qui marquent l’entrée de la Charente. La houle s’est calmée, je cherche les bouées qui matérialisent le lit du fleuve. D’abord une cardinale nord, les Palles, ainsi nommée, j’imagine, pour éviter de s’empaler sur les rochers qui débordent l’île Madame au nord-ouest. Puis les latérales tribord Sablière et Fontenelles. Barre à droite 30°, et on s’avance dans un entonnoir sans en identifier le fond camouflé dans le premier méandre de la Charente.
Entrer sur la Charente, c'est entrer dans un autre univers. On arrête de suivre un cap pour s'enfoncer entre deux rives bordées de roseaux. Le fleuve est sinueux. Il est parfois large et on ne devine pas forcément le sens du prochain virage. On se laisse donc aspirer dans cet entonnoir d'eau et de verdure pour découvrir une autre perspective.
Sur la première moitié du parcours, les rives sont jalonnées de nombreuses cabanes à carrelets perchées sur leur ponton. Leur architecture aérienne est un vrai trait d'union entre l'univers terrestre et l'univers marin. Certains sont repeints, peu sont à l'abandon, et on imagine le bonheur du pêcheur venant assassiner sa friture sans qu’un bruit ne trouble la quiétude de l'endroit. A part le doux feulement de deux Verado.





On peut voir sur la dernière photo des poteaux surmontés de lettres. Ce sont des repères d'alignement pour naviguer dans les méandres du fleuve. Il faut parfois avoir de bons yeux pour les trouver dans la végétation.
Nous avons un peu d'avance sur l'horaire d'ouverture des portes de Rochefort, nous prenons notre temps en naviguant à 5-6 noeuds. C'est la vitesse quasi minimale de navigation obtenue embrayé en marche avant lente. Non, mon ralenti n'est pas déréglé, c'est juste qu'il y a pas mal de courant par endroits.

Le passé historique et militaire jalonne notre parcours. Ici un fort, là un bastion. Entrer sur la Charente c'est aussi entreprendre un voyage dans notre patrimoine architectural, dont le joyau est sans aucun doute la Corderie royale. Loin de la foule estivale, remonter doucement le cours du temps...

Avant Rochefort, il faut passer sous les ponts routiers et le fameux pont transbordeur en cours de rénovation.


2 personnages ont profondément marqué la ville de Rochefort. Colbert et Jacques Demy (celui qui dit Hermione et Harry Potter reçoit un sort). Ils se sont retrouvés à quelques siècles d'écart et pour la postérité sur la place Colbert qui n'est pas encore rebaptisée place des Demoiselles. Nous, c'est décidé, nous ne chanterons pas tout l’été, et nous nous installons à l’obre de la terrasse de la brasserie des Demoiselles. Simple, bon, efficace, dans le ton de cette ville à l'architecture très militaire.

Bon, Colbert, on lui doit quand même beaucoup à Rochefort.
Tout d'abord l'architecture de cette ville. Jeune appelé sous les drapeaux, j’ai appris à faire le lit au carré. Architecte militaire, ce sont les villes qu'on dessine au carré. Propre, net, on ne peut pas se perdre... Il y a quelques pépites, notamment du côté de l'arsenal. La petite maison du commandant de l'école de gendarmerie, entre l'Hermione et la corderie, est plutôt sympa. Mais la pépite des pépites, c'est bien la corderie.

C'est un bâtiment immense d'un peu moins de 400 mètres de long pour seulement 8 mètres de large. Il est construit sur un marécage, et la prouesse technique de l’époque fut d’emprunter une technique hollandaise consistant à faire des fondations en chêne, non pas fichées dans le sol, mais flottant sur le fond vaseux et sur lesquelles sont ensuite élevées les façades. Même s’il a fallu ajouter quelques contreforts quelques années plus tard, c’est visiblement une technique efficace pour traverser le temps.
La corderie est bâtie sur la rive de la Charente, et ce qui est surprenant, c’est que la belle façade est construite pour être vue depuis le fleuve.
L'Hermione fut construite dans l'arsenal de la ville (à moins qu'elle ne fut construite dans la ville de l'arsenal). Sa réplique également. On peut - mais vous le savez tous - la visiter sur place. La visite est sympa, je vous recommande la visite avec le matelot. Ca donne de la vie à ce musée. Après quelques quasi-bosses, j’ai compris que j'étais trop grand pour participer à une telle aventure. Seule consolation : la cabine du pacha. Elle n'est pas plus grande que celle Kalango et question accessibilité, avantage à Kalango ! (OK, je n'ai pas 2 annexes emboîtables façon poupées russes, pas de canon et un seul mât - le mât de ski).
Il y a de nombreux ateliers proposés, notamment pour les enfants qui peuvent même apprendre à ferler les voiles - au ras du sol, c'est plus prudent. Les plus téméraires iront défier le vertige en essayant l’accromât, version rochefortaise de l'accrobranche.



Alors le faux bras de perruche…. là...euh, non, ça doit être celle-ci, à moins que ce ne soit celle-là… am-stram-gram…

Le port est à deux pas du centre. Il comprend deux bassins avec une jolie capitainerie et bloc sanitaire entre les deux. Le personnel de la capitainerie est très sympa et très serviable. La preuve, un voilier est arrivé moteur en panne remorqué par un autre voilier. A l'ouverture de l'écluse, la moitié de l'équipage revenant de la douche s'est trouvée bloquée sur l'autre rive du port. C'est donc le personnel de la capitainerie qui s'est dévoué pour larguer les amarres, remorquer le voilier, le manœuvrer dans le port, l'amarre. Mais pas de douche pour eux...
Un rochelais croisé à Port Joinville m’avait conseillé de téléphoner la veille pour réserver une place. C’est ce que j’ai fait, mais le 15 août à Rochefort ne ressemble pas au 15 août à Ye (n’est-ce pas Joël !). Je n’ai pas eu de voisin de catway, et il y avait d’autres places disponibles.

Il y a quand même beaucoup de voiliers dans ce port, à part ce leader 36 décapotable à louer. Non fumeur bien sûr.


Juste au bout du ponton C - le nôtre, une bonne adresse pour l'autre bon côté du nautisme. Nous n'avons pas résisté aux moules le premier soir, et la portion de frites à emporter le lendemain, dégustée à bord. Le luxe, non ? Bonne bière locale également.

Je vous disais qu'on pouvait croiser des cargos sur la Charente. A peine amarré sur le ponton d'accueil, sur le canal 12 les lamaneurs annoncent que tout est clair, et apparaît d'abord le panache de fumée, puis une masse bleue devenant progressivement la proue d'un cargo.


Le retour s'effectue le matin. Les portes ouvrent à 9 heures aujourd'hui. Les sortants passent en premier - ce qui est assez logique. Mise en route à moins 5, je me glisse entre deux voiliers qui viennent du second bassin, et c'est reparti, vers l'océan cette fois. La navigation s'effectue un peu plus rapidement qu'à l'aller : 8 noeuds. Il y a moins de courant, mais j'ai eu des envies de vitesse soudain...

... et je voulais quand même être devant cette armada de voiliers, histoire de vivre encore un peu l'illusion d'être seuls au monde.
En voyant ces voiliers naviguer au moteur, je ne peux m'empêcher de penser aux galériens qui à l'époque tiraient les navires sur la Charente... Il faudra y repenser pour la transition énergétique.
La frontière entre le fleuve et l'océan est marquée par la ligne passant entre un fort à tribord et une bouée latérale tribord à bâbord. Dame Nature la marque à sa façon, en ridant sur la mer la surface de l'eau qui était quasiment lisse sur le fleuve jusque là.


Voilà, l’après-midi sera consacrée à vider le bateau, en y laissant que le strict minimum. La fin d’après-midi sera plus mouvementée, mais c’est une autre histoire.