Première étapeVoilà, les pleins sont faits, eau et essence, la cabine est rangée. Hier j’ai cherché en vain des charnières dans les différents shipchandlers des Minimes pour remplacer celle cassée du portillon arrière (tôle mal chromée d’un millimètre d’épaisseur qui n’aura pas résisté ni au temps ni au mauvais alignement d’origine des deux charnières).
Photo 1 – Pourquoi faut-il casser des pièces introuvables dans le commerce ?Les cartes sont astiquées, le niveau d’huile des deux L4 vérifié, la survie rangée, les packs d’eau dans le coffre.
La météo est prise. La situation générale des prochains jours est assez cool (façon de parler) avec un anticyclone qui se pose en Irlande et une dépression qui se creuse sur le sud de l’Espagne. Même s’il faudra a priori compter avec la houle atlantique qui a gonflé au large ces derniers jours, le flux d’est devrait rendre la mer agréable, sauf à être amplifié par les thermiques.
Photo 2 – Les augures et Benoît, consultés la veille, confirment le beau temps des prochains joursNous sommes donc prêts pour larguer les amarres.
Je dis nous, mais il s’agit juste du bateau et moi, car pour ce petit voyage, ce sera sans mousse. Bon, il faut voir le côté positif de la chose : ça simplifiera pas mal les manœuvres, je n’aurai pas à trouver de mauvais prétexte pour engueuler quelqu’un.
Il est donc 8 heures 30 ce jeudi, la boulangerie au bout des Minimes a ouvert ses portes depuis longtemps. Je me laisse guider par les effluves de viennoiseries et de pain mêlées, réalisant ainsi de manière très empirique un test Covid pré-embarquement. Je prends la formule petit déjeuner en terrasse, profitant d’un rayon du soleil à peine plus réveillé que moi.
Photo 3 – Pas assez réveillé pour penser prendre la photo avant d'avoir tout mangé9 heures 45, le moteur droit est démarré, puis c’est au tour du gauche. Je me creuse un peu la tête pour savoir quelle est l’amarre sous le vent, car le vent n’est pas encore levé. Je décroche donc les deux pointes avant et celle de derrière. Grimpant lestement à bord, j’active le mode dock pour ne pas réveiller les voisins qui dormiraient encore, marche arrière lente. L’étrave sort doucement du catway, je passe le gauche en avant lente. Lentement, le bateau pivote sur place, j’en profite pour rentrer rapidement les deux pare-bat arrière, l’étrave arrive dans l’axe du ponton, je passe les deux moteurs en marche avant lente, deux virages pour entrer dans l’avant port, un petit essai VHF avec la capitainerie, puis le chenal, avec à droite les célèbres tours St-Nicolas et celle de la chaîne; à gauche, la tourelle Richelieu qui rappelle à chacun l’emplacement de la digue que le cardinal fit construire lors du siège de la ville et accessoirement la direction que je dois prendre (assez bizarrement, cette tourelle n’est pas une cardinale).
Photo 4 – La tourelle Richelieu, qui marque l'emplacement de la digue voulue par le cardinal pour le siège de la ville. Ne pas passer de l'autre côté en basses eaux.
Photo 5 – De l'autre côté, les tours de la ville. La scène des Francofolies en construction. (photo prise la veille à partir du bus de mer)Il est 10 heures, ce n’est pas la foule des grands jours dans le chenal. C’est vrai que ce n’est pas un grand jour non plus. Une petite dizaine de voiliers chenalent au moteur devant moi. L’un d’entre eux, mieux organisé, a déjà hissé ses voiles et navigue sous voiles dans le chenal. J’en profite pour récupérer, dans une série de zigs-zags, les derniers pare-bats et lover les amarres. C’est quand même utile un mousse !
Photo 6 – "En avant pour de nouvelles aventures, vers l'infini et au-delà !"(Buzz l'Éclair)Dernière bouée du chenal, fin de la restriction de vitesse à 5 noeuds. Je pousse doucement la manette des gaz. C’est parti.
5000 tours pour déjauger, puis rapidement réduction à 4000 tours pour un régime de croisière autour de 22 noeuds et 45 l/h. Direction le phare de Chauveau jusqu’au niveau de la pointe de Chef de Baie, le port de pêche, puis direction Marie-Anne jusqu’à intercepter l’alignement du môle de la Pallice, désert, puis le pont, et à dix heures vingt, sans avoir oublié de ralentir à 5 noeuds, c’est l’entrée dans le pertuis breton qui s’ouvre devant nous en passant sous les grandes arches du pont de l’île de Ré.
Photo 7 – Le port de pêche et sa criée, derrière le port de commerce avec ses grues et ses silos, le Pont de l'île de Ré en arrière plan
Photo 8 – L'entrée dans le Pertuis breton en passant sous le pont de l'île de Ré. Derrière, la pointe des Sablenceaux. A droite de la pile n°12, l'ancien embarcadère du bacLe pertuis breton, c’est un peu notre terrain de jeu. L’été, Kalango y a son corps-mort et c’est là que nous trempons nos hameçons. C’est aussi là, sur le rivage, que nous avons l’adresse d’une bonne poissonnerie.
Le pertuis, c’est donc un vaste rectangle de 7 nautiques de large et le double en longueur, orienté NW/SE, qui s’ouvre en grand sur le golfe de Gascogne au nord-ouest entre la pointe du Groin-du-Cou sur le continent et la pointe des Baleines sur l’île de Ré. A l’autre bout, l’ouverture n’est que de quelques centaines de mètres, enjambée par le pont. Bref, c’est un immense bac à sable pour la houle atlantique qui vient s’échouer gentiment en roulant boulant sur les plages, dissipant progressivement sa puissance.
La marée y entre et en sort par les deux extrémités, et si j’ajoute que deux fleuves côtiers s’y jettent au même endroit, vous me pardonnerez de n’avoir toujours pas une vue claire et synthétique des subtilités des courants et contre courants qui sévissent.
A tribord, c’est le continent. Il se présente sous la forme d’un long cordon dunaire, vaste flèche de sable qui s’étire depuis le socle rocheux de la pointe du Groin-du-Cou, sur la commune de la Tranche-sur-Mer, jusqu’à la pointe d’Arçay où le panache de sable vient se mêler aux eaux et aux vasières dans un tableau sauvagement magnifique. C’est un paysage neuf et vivant que le vent et la dérive littorale et le soleil façonnent marée après marée, année après année. S’il a fallu en général des millénaires pour façonner nos paysages, ici il n’aura fallu que quelques siècles : songez que cette côte n’existait pas sous cette forme il y a seulement quatre siècles, et que la marée envahissait tout le marais derrière aussi loin que Coulon aux portes de Niort… Dans le coin sud-est, la paisible Sèvre niortaise se jette désormais à l’eau dans la baie de l’Aiguillon, tout comme le Lay, dans de vaste méandres et bras morts, apportant chacun aux mytiliculteurs les alluvions qui nourriront les moules élevées sur les milliers de bouchots dressés le long des côtes.
Sur bâbord, c’est l’île de Ré. Après le pont, la plage des Sablanceaux laisse rapidement la place à quelques falaises basses sur lesquelles ont poussé des fortifications. Un système défensif qui permettait de protéger l’accès de La Rochelle, mais surtout l’arsenal de Rochefort. Les plus remarquables sont celles de Saint-Martin qui abritent un port si charmant en basse saison et dans lequel, en haute saison, on développera rapidement (ou jamais) sa capacité à quitter un ponton à couple (ne pas hésiter à embarquer des mousses, si ça fait du bien).
Photo 9 – Les fortifications de Saint-Martin-de-Ré. L'entrée du port est en travaux (plateforme sur la droite)Puis arrive le fameux banc des Bûcherons, propriété privée de Philippe, puis derrière, le fier d’Ars où, dès qu’on a un peu de tirant d’eau, on ne fait pas le fier.
Photo 10 – La cardinale des Islattes, le fier d'Ars derrière dans les terresEnfin, à Loix, la côte s’oriente vers le large à partir de la pointe du Lizay, en direction du phare des Baleines et de son rejeton, le phare des Baleineaux, posé quelques cailloux plus loin en mer.
Photo 11 – La pointe des Baleines, avec l'ancien phare, le sémaphore et le phare des Baleineaux
Photo 12 – De l'autre côté, la pointe du Grouin-du-Cou, son phare (même nom), puis la station balnéaire de la Tranche-sur-Mer, son château d'eau qui constitue un amer remarquableC’est là, qu’une heure après le départ, s’ouvre devant nous le golfe de Gascogne, qui s’étend avec malice du cap Finisterre au Finistère à la pointe de Penmach (n’en déplaise aux Bretons, la Bretagne sud est en eaux gasconnes). Tout de suite la mer est un peu plus forte. Je fais route au 308, 22 noeuds, tranquillement. A bâbord, l’horizon et plus loin Terre-Neuve; à tribord, la plage des Conches, célèbre pour ses compétitions de surf; puis Saint-Vincent-sur-Jard, avec au bout de la plage la maison de Clémenceau, où dit-on, le Père-la-Victoire aimait regarder la mer défaite. Il aimait surtout y culbuter ses maîtresses, mais ce n’est pas forcément ce que la grande histoire a voulu retenir du lieu.
Apparaît maintenant Jard-sur-Mer, son port qui assèche, dont l’entrée entre les rochers est en travers des vagues, et qui ne dispose pas de carburant. Le point positif, c’est qu’en été il y a moins de monde qu’à Saint-Martin-de-Ré.
La côte qui se matérialisait par trois liserés superposés blanc, or et vert intercalés entre le bleu de la mer et le bleu du ciel s’étire désormais le long d’une petite falaise sombre qui accrochera ce soir les rayons orangés du soleil. C’est toujours un régal pour les yeux qu’il convient cependant d’observer de loin. Puis arrive l’embouchure du Payré, qu’il faut imaginer serpentant dans un marais façonné par l’élevage des huîtres qui font la renommée du lieu. Sur la rive droite au niveau de l’embouchure se trouve la plage du Veillon, l’une des plus belles plages de Vendée, sinon la plus belle, bande de sable qui sort de la forêt et s’enfonce d’un côté dans l’océan, et de l’autre dans les eaux du Payré, formant une arabesque géante façonnée par les courants. La limpidité des eaux du lieu tranche avec celle des eaux chargées des pertuis et font de l’endroit un magnifique mouillage pour un apéro.
Quand le petit port de Bourgenay passe au loin par le travers, devant l’étrave, la civilisation émerge à nouveau à l’horizon . Voir la blancheur des immeubles du remblai des Sables-d’Olonne rassure : on n’est pas perdu !
Photo 13 – Les Sables d'OlonneIl est inutile de vous présenter ici le delphinarium qui fait la renommée de la ville et que notre ami Gilles a le privilège d’animer. Pour les amoureux de grandes navigations, des cartes et plus généralement de géographie, sachez qu’ici, tous les quatre ans, on vend des globes.
Je poursuis tranquillement ma route, donnant un large tour aux cailloux plantés dans le prolongement des immeubles, aux noms évocateurs de Pois marins, Écarquillés, ou Barges. Il est midi quand je passe dans l’alignement du phare de l’Armandèche et de la cardinale sud Petite barge (la grande est au nord et surmontée d’un phare).
Photo 14 – La cardinale Petite barge, le phare de l'Armandèche et l'ancien village de pêcheur des Chaumes, aujourd'hui intégré à la villeLa navigation se poursuit une heure le long d’un littoral très varié : des rouleaux qui brisent et qui brisent sur les milliards de grains de sables des dunes que les milliers de pins maritimes et ganivelles tentent de fixer. A quelques endroits seulement, l’estran est sableux, mais le plus souvent la plage est défendue par un fond rocheux. Bref, pour moi, pas d’abri avant Saint-Gilles. C’est du hauturier à défaut d’être de la haute mer, même si le thermique pointant son nez, la mer devient un peu moins agréable. Ça tape parfois. A mi-parcours, on laisse Brétignolles-sur-Mer et son ex-futur port de plaisance sur le travers, seule curiosité sans intérêt du parcours.
Arrivent enfin des immeubles à l’horizon. Ceux de Saint-Gilles, peut-être aussi le béton de Saint-Jean-de-Monts plus loin derrière mais aussi plus gros. Le vent a encore forci, et dans la baie, un petit Flyer s’essaye au saut de bosses dans un panache de poudreuse à chaque retombée. Si Monsieur semble joueur, Madame paraît avoir le dernier mot. Le Flyer ralentit, je le dépasse au loin, et entre gentiment dans l’alignement du chenal à mi-chemin entre la jetée et la cardinale Pilours qui garde l’avancée rocheuse, là-même où, adolescent-aventurier, j’ai cru voir ma fin à bord d’un Topper dans l’un des nombreux remous de l’endroit.
Photo 15 – Les immeubles de Saint-Gilles-Croix-de-Vie sur la corniche de Sion. Dans le ciel, des signes de l'établissement de la brise. Au loin, les immeubles de Saint-Jean-de-Monts
Photo 16 – Le bout de la jetée du long chenal d'entrée de Saint-GillesIl est 12 heures 45, la brise est désormais bien sensible, établie dans l’axe du chenal. Je navigue à 3 noeuds comme l’indique une inscription sur la digue. C’est là que le Flyer de tout à l’heure me fait l’extérieur juste avant le virage à droite. Auparavant, une Antarès, vieille et énorme, m’avait également doublé, son sillage me poussant brutalement vers l’enrochement tout proche. Mais que fait la police ? Les Bénéteau bénéficieraient-ils d’une dérogation dans ce port où flottent les pavillons de la marque ?
Photo 17 – Port-la-Vie, home of Bénéteau13 heures, je suis amarré au ponton 7, celui de la pompe à essence. Ça tombe bien, le ravitaillement est l’objet de mon escale. Avitaillement du bateau en essence bien sûr (je mettrai 120 litres), mais surtout, à l’heure du déjeuner, celui du capitaine. Bon… je rangerai la cabine tout à l’heure. Ça tapait tant que ça ? On ne se rend pas bien compte quand on n’a pas de mousse.
Photo 18 – Comment ça ça tapait ?La rue commerçante de Saint-Gilles est à deux pas des quais, et on y trouve tout ce qu’il faut. Bars, restaurants (non, les globes c’est aux Sables seulement). Il y avait une petite épicerie bien pratique au coin de la place. Malheureusement, elle semble avoir disparu et laissé place à une boutique où l’on peut acheter des boîtes de conserve très décorées dans lesquelles auront été entassées quelques sardines. C’est plus chic ! Je me dirige donc vers le bar du coin (c’est le surnom du restau à un autre coin de la place). Trois heures de navigation méritent bien une bière et une salade César. Un café liégeois aussi… Ce n’est pas Jean-Luc qui me contredira !
Photo 18 – Nunc est bibendum !