À la demande générale (JC promu général), voici la suite...
Sans doute sera-t-il utile de relire les épisodes précédents, ou au moins le trailer...
Épisode 6 - BricolangoJe me suis couché très tard. J’ai d’abord rempli le journal de bord, reprenant mes notes. Puis j’ai passé un peu de temps sur la météo - bonne pour les trois prochains jours, puis je me suis un peu perdu dans les cartes marines de la région. Enfin j’ai recherché sur le web la façon de réparer mon bateau. J’ai bien sûr consulté les contributions de nos illustres bricoleurs. Ça m’a plutôt découragé : je n’ai que quatre trous à boucher, et faire sauter le pont comme Xavier l’a fait, pour reboucher par en-dessous, désolé, je n’en ai ni le courage ni les compétences.
Le point crucial pour bien dormir sur ce bateau, en tous cas pour dormir suffisamment longtemps, c’est d’arriver à occulter la descente translucide dont l’ouverture donne directement sur le lit. J’ai un rideau occultant que je fixe avec des pinces sur la cornière qui fait le tour de l’ouverture. Après plusieurs essais et les jurons qui vont bien, j’ai trouvé la bonne pratique : je positionne le haut du rideau sur le bord supérieur. Je pince le rideau sur la cornière avec deux petites pinces pour le bricolage en maintenant avec la tête le rideau plaqué sur la porte (c’est le seul moment où on est content de ne pas avoir plus de hauteur sous barrot). J’attends cinq secondes pour être sûr que les pinces tiennent malgré le poids du rideau (prévoir quelques jurons). Toujours en maintenant le rideau de la tête, je le tends doucement vers l’arrière, et fixe deux pinces au niveau de l’arrondi de la descente. Là encore j’attends quelques instants avant de pincer le bas au niveau des marches. Bon, je n’ai que quatre pinces, je complète donc par deux pinces à linges, et j’en fixe deux supplémentaires en haut pour coller au maximum le rideau sur le plafond. Il faut savoir se montrer très sympathique et persuasif avec les pinces à linge qui ont une singulière tendance à s’inspirer des pois sauteurs de mon enfance, entraînant le tissu vers le bas, attirant d’autres pinces dans la chute, par au final déchaîner un flot de jurons.
Le deuxième point crucial, c’est la ventilation. Je laisse tous les hublots ouverts. Je sais que Benoît-la-Grenouille veille sur la température de la nuit. Une fois sous la couette, il n’y a plus qu’à éteindre la lumière. Ah oui, l’interrupteur est de l’autre côté de la cabine. Faut que je me relève. Pas de juron, c’est ma faute. Je savais pertinemment que les concepteurs de l’aménagement intérieur n’avaient cepté que sur le tard…
Et puis les vagues de la journée ont bercé ma nuit. J’ai dormi comme un bébé, au moins jusqu'au moment où certaines pinces à linge ont fuit les rayons du soleil. Dès lors, j'ai plutôt somnolé, faisant au passage quelques cauchemars aux vertus cathartiques.
Je ne me souviens que de l'un d'entre eux. Je me réveillais dans le bateau, une caméra de France Télévisions pointée sur moi. L’équipe était là soi-disant pour un reportage sur la façon dont les Français passaient leur vacances à la recherche de fraîcheur en ces temps de canicule. En réalité, c’était comme ils en ont l’habitude, un faux-nez pour un Envoyé Spécial sur le pour cent de Français privilégiés qui brûlent beaucoup d'essence juste pour leur bon plaisir. Je me suis réveillé au moment où le caméraman, la journaliste et le technicien son (ils sont riches sur France Télévision) allaient finir à l’eau. Il faut croire que certains cauchemars véhiculent leur part de rêve.
Il est déjà huit heures, je me lève. Je passe un T-shirt, et me voilà face aux remparts de la Ville close. Il fait déjà presque chaud. Les coussins ne gardent d’ailleurs qu’une légère trace de la rosée qui s’est presque totalement évaporée. J’ouvre la vanne de gaz difficilement accessible si on décide de ne pas retirer le coussin du coffre, et je redescends préparer le café. Je sors trois Prince du paquet. Je secoue énergiquement le paquet vide : un quatrième et malheureusement dernier en sort. A un moment où tout augmente, il y a au moins une chose qui a baissé en 40 ans, c’est la taille des paquets de Prince…
Je m’installe à l’extérieur. Il est 8 heures 10, nous sommes samedi, j’attends que le café soit prêt. Ça prend un temps fou sur ce petit réchaud. J’ai donc le temps de réfléchir devant cette amarre qui ceinture le taud depuis hier et me rappelle le travail qui m’attend ce matin. Pff… Le ciel est bleu, avec juste ce qu’il faut de petits nuages pour faire une belle journée d’été. Ça y est, le café est prêt. Je déguste mes derniers princes en admirant devant moi les mâchicoulis qui jouent avec leur ombre sur les murailles de granit. La vie est belle quand même… En face de moi, un CC 6.5, avec un taud de camping, dont s’extirpent un papa, une maman et deux jeunes enfants en pyjama rayé bleu et blanc frappé d’une magnifique ancre rouge sur la poitrine… Sans doute la famille Sardine au jeu des 7 familles. Je me demande comment ils font, moi qui trouve que seul dans mon 8.5 c’est un peu exigu.
Je vois peu de bateaux sortir. Au contraire de l’activité sur le ponton qui est soutenue. On y voit des gens à la mine hâlée portant des sacs lourds de souvenirs et de linge sale croiser des gens rasés de près portant des sacs de linge propre débordants de rêves. J’imagine que c’est la relève des équipages des Glénans. Plus tard, ce sera le va-et-vient des chariots mis à disposition à la capitainerie pour remplir la cambuse. Les discussions vont bon train. Surtout chez les plus jeunes qui se racontent volontiers leurs campagnes précédentes. A les entendre, je replonge avec bonheur dans le souvenir de moments semblables.
Vaisselle, douche, rangement de la cabine. Voici l’heure de vérité. Voici le moment où je vais chercher dans le coffre arrière le sac qui contient - entre autres - la boîte de mastic armé qui va me servir pour reboucher les trous. Oui, j’ai deux chantiers pour aujourd’hui : la serrure de la porte de la descente, et la fixation du cabriolet.
D’abord lire le mode d’emploi. Écrit en police 5, c’est pas fait pour les presbytes. Deuxième truc qui me…intrigue, comment je fais pour mettre trois pour cent de durcisseur dans une noisette de résine ? J’ai plein de trucs dans ma caisse à outils, mais pas de balance de précision… je mettrai au pif.
Et c’est ainsi que j’entreprends la réparation de la serrure. Je sors la perceuse/visseuse sans fil, l’équipe du foret-fraisoir que, par contre, j’ai dans ma boîte à outils. L’idée est d’éliminer la fibre cassée et de doter chaque trou d’un chanfrein qui devrait faciliter l’accroche de la résine.
C’est parti. Les équipages qui passent sur le ponton paraissent visiblement inquiets par ce fou jouant de la perceuse sur l’eau. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que des copains fous de la perceuse, j’en ai plein sur le fofo (Y en a même des pires). Alors poussé par l’exemple des copains, c’est vrai que j’y vais de bon coeur pour découper les fibres arrachées vague après vague sur le Pont d’Yeu.
Je dépoussière; un peu d’acétone sur un chiffon; et voilà, l’endroit est dégraissé. Yapuka mettre les trois pour cents dans la noisette. Je touille, doucement, mais sûrement.
J’ai prévu de mettre un peu de fibre dans les deux tous et de charger avec le mastic, lui même déjà chargé en fibres.
Voilà, un peu de choucroute, je prends la spatule. C’est bizarre, le mastic n’est plus mou… Il est même dur. Bon, c’est reparti, je mets une plus grosse noisette et un plus petit trois pour cent. Cette fois-ci, j’arrive à boucher mon trou avant que ça durcisse, mais de peu ! Je laisse durcir en allant m’occuper de la fixation du taud.
Mêmes opérations, mais avec des trous plus gros et une encore plus grosse noisette. J’essaie de bourrer pour avoir de l’épaisseur dans laquelle visser, mais je ne ne me fais aucune illusion. je me contenterai du petit voile de fibre noyé dans le mastic. La réparation sera provisoire.
Alors que j’en ai plein les doigts, la maman du 6.5 sort de son bateau . Elle porte un legging rose fluo bien moins dans dans l’esprit du lieu que le pyjama de ses enfants. Elle déroule un tapis au coin du ponton, et entamme une séance de yoga. Je n’imaginais pas qu’on puisse se tordre avec le sourire autant dans ce sens. Dans ce sens là non plus… Et ça dure longtemps. Convaincu que cet exercice est une nécessité pour vivre à quatre sur un 6.5, je mesure alors l’avantage d’être seul sur un 8.5.
Tant que j’y suis, la jambe du taud a frotté sur le bord de la cabine, laissant une disgracieuse balafre dans le gelcoat. Je sors donc le sparadrap bleu, délimitant le champ opératoire, un tournevis en guise de scalpel pour inciser le long du sillon déjà creusé. Un petit coup d’abrasif, d’acétone, une noix de gelcoat, un peu de 3 pour cent, et c’est parti pour gommer cette ride…
Photo 56 - Le champ opératoire.
Je profite du temps de polymérisation pour regarder ce qui se passe côté serrure. Ça me paraît avoir suffisamment durci. Je retire le scotch, ponce la surépaisseur. Bon, on voit plus les trous. À la place, j’ai deux taches vertes, bien flush. Du coup je ne sais pas où je dois percer… Je suis quand même content de moi, j’ai bouché ces deux trous sans démonter le pont, comme quoi…
Photo 57 - Il a deux trous verts sur le côté.
Et d’ailleurs Concarneau ne s’y trompe pas. Derrière les remparts, une sono a été installée çà mon insu et crache un Eye of the Tiger des familles. Des pétards, non ! un feu d’artifice est tiré. D’abord confus par ce que oh les gars, j’ai pas fini, j’accepte finalement ces encouragements. Avant de comprendre que tout ça c’est pour Le Cléach qui sort avec son Ultim…
Ouais bon,… lui il a des tas de gars qui lui dégonflent ses pare-bats, moi, y a personne. Donc c’est bien joli tout ça, mais j’espère que Concarneau saura me fêter aussi bien quand je partirai. Bref.
Photo 58 - Je veux bien parler à mon banquier de la déco de la coque de mon futur bateau : Gilles, prépare-moi un Privilège 80.
Mon voisin de ponton a quelques soucis pour démarrer son moteur. C’est un Honda un peu vieillot, mais guère plus que le bateau. Contact, rien. Le propriétaire me confie qu’il est venu vérifier si son bateau fonctionne avant d’amener des amis cet après-midi, car le bateau… rentre de révision. Je ne demande pas le nom du CC, mais il est à Port-la-Forêt.
Je lui prête mon multimètre pour vérifier la tension : un peu faible mais pas à plat non plus. Sur mes conseils , il resserre les cosses… Et ça démarre. Et ça s’arrête. Et ça ne redémarrera plus. Pragmatique, le propriétaire fait appel à un ami, son CC à Port-la-Forêt, qui promet de passer dans l’après-midi. On n’a pas toujours les amis qu’on mérite.
Avec tout ça, ce qui est sûr, c’est que je n’aurais pas le prix Stakanov de l’année (pas certain, d’ailleurs, de vouloir aller le chercher dans le Donbass par les temps qui courent). En effet, c’est déjà l’heure du déjeuner… Je sors de la cambuse (sac de supermarché stocké sous le lit) les chips qui ont survécu à ma boulimie, et du frigo le thon fumé de l’île d’Yeu… Un petit coup d’acétone sur les mains pour éviter de coller tout ça au bout des doigts…
Et c’est parti pour un instant épicurien propice à la réflexion : le taud est-il nécessaire en Bretagne sud quand il ne pleut pas ? Je vous laisse travailler les contours de la problématique, utilitarisme versus relativisme perceptif; moi j’entame ma deuxième bouteille d’eau. Benoît, t’as pensé à débrancher le chauffage ? Sérieux, on est quand même bientôt mi-juillet ! Sans le taud, en plein soleil breton, je transpire tout ce que je bois.
Un fond de café réchauffé mais pas bouillu , et c’est repartu : je reprends l’ouvrage par la serrure et le pointage des perçages. J’enfonce les vis dans les trous du dormants, verrouille le dormant dans l’autre partie de la serrure pour, en présentant la porte, marquer précisément la position des vis. Pff… Sous la chaleur, les vis pendouillent. elles ont soif ! Bon. Heureusement il me reste quelques neurones suffisamment hydratés. Surgit donc l’idée de génie qui consiste à faire un trait au-dessus du dormant, un autre au-dessous et un troisième devant, puis de présenter le dormant seul sur les marques pour pointer les trous. Et ça marche… Un petit coup de pointeau, je pré-perce, re-perce un peu plus gros, et ça y est, les vis vont pouvoir s’enfoncer avec un peu de couple et un peu de Sika pour étancher le tout. La serrure est en place.
Photo 59 - Applaudissements !.
Au tour de la fixation du taud. Là, il y avait déjà la marque du temps qui n’a pas totalement disparue, alors c’est parti. Ah ! de l’ombre. Enfin…
Reste la réparation du gelcoat à poncer et polir. Je pars du 500 pour finir au 3000, de l’eau et de l’huile de coude, sous l’oeil goguenard des passants. Un peu de crème polish pour le rendu du neuf… Et ça brille. Magnifique. Je ferais bien sur ma lancée le reste de la coque, mais je préfère discuter un peu avec mon voisin qui est revenu attendre son prétendu ami, qui, puisqu’il l’attend, n’est pas encore venu.
Voilà.
Quant à la poursuite de la navigation aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence, c’est mort.
Alors je décide de regarder ce qui …
On se retrouve après la pub !